Herman De Croo fait une lecture positive des relations Belgo Congolaises
Interview MAGAZINE AFRIQU EUROPE – Spécial Belgo Congo
Minister van Staat Herman De Croo gaat uitgebreid in op de relaties tussen België en Congo.
Interview afgenomen door Nkalulu Lokombe, verschenen in Magazine Afriqu europe nr. 59, mei 2021.
AE : Les relations diplomatiques entre la Belgique et la RDC a généralement été en dents de scie. Selon vous Mr De Croo, que doivent faire les autorités Belges afin que cela ne soit plus le cas désormais? De son cote, qu’est-ce que Kinshasa ne devrait plus faire pour ne pas fâcher Bruxelles?
Herman De CROO : Deuxième pays d’Afrique parcouru par le deuxième fleuve le plus puissant du monde, en fait le château d’eau d’un continent, avec l’extraordinaire complexité de sa géographie ethnique, politique, agricole, climatique, industrielle, minière en pleine expansion démographique, rencontra pour ainsi dire la Belgique depuis très longtemps, souvent pour le meilleur, hélas pas toujours. Vingt-huit ans d’Etat Indépendant, 58 ans de colonie belge et plus de 60 ans d’indépendance nationale, les relations entre la Belgique et la République démocratique du Congo restent chargées de cet important passé commun, plus d’une fois douloureux, avec des hauts et des bas.
Malgré tout, celles-ci restent et resteront « uniques ». Il est normal que les rapports bilatéraux, dans le cadre des relations internationales entre des partenaires ayant des liens forts et anciens durables, que ces relations-là connaissent des temps forts et des tensions majeures.
Une constante de la part de la Belgique : l’espoir de voir cet immense Congo, avec ses potentialités extraordinaires en eau – 50% des réserves d’eau douce de l’Afrique – en terres, en mines, en forêts, en population, en croissance potentielle,postuler pour cette grande nation, une place de premier rang en Afrique, vu les atouts énormes dont il dispose.
Mais cet espoir vise également une prospérité généralisée pour tous les Congolais et pas seulement pour une toute petite catégorie parvenue au pouvoir.
La Belgique et sa coopération, la première je crois au Congo, a connu sous les régimes successifs, des temps forts de renouveau, d’espoir, de croissance et d’appui populaire.
Les diverses formes de collaboration unilatérales ou multilatérales ont cependant engendré des situations problématiques, voyant les appuis populaires s’amenuiser et le pouvoir se crisper – quelle qu’en soit la définition- , nos relations en furent hélas trop souvent la brebis galeuse.
Il y a cependant une évolution heureuse, à mesure que les années passent. La modernisation d’une approche d’avant-garde, digitale, pour moi, et de la collaboration au partenariat entre entreprises, organisations, universités, institutions de santé, création d’infrastructures etc…
Où la Belgique reste souvent à la tête du peloton international, dans l’aide au Congo ! Pensez aux nombreuses remises de dettes ou à la collaboration publique et privée, soutenue par la population congolaise et une importante diaspora congolaise surtout active en Belgique, France et au Canada. Cet avenir se développera bien plus vite que l’on ne croit. C’est bien.
AE : La Région des grands Lacs est une poudrière, caractérisée par des conflits interminables entre les Etats. Que faire pour la paix durable y revienne? La communauté internationale a-t-il une responsabilité dans le drame humanitaire qui s’y déroule sous ses yeux ?
Les pays dits des Grands Lacs qui jouxtent la RDC constituent une région encore plus complexe que le Congo lui-même, et souvent un bon nombre de pays occidentaux et autres essayent d’y contribuerà une paix durable ; c’est aussi le cas de l’Europe. La RDC, par son « emprise » globale, peut parvenir à rétablir un bon fonctionnement de ses institutions de souveraineté, notamment les FARDC, de ses institutions territoriales, de ses dispositifs de sécurité intérieure, pour assumer effectivement un Etat de Droit. Cela grâce à une coopération réciproque et correcte pour aider l’ensemble de ce qu’on pourrait, vu l’effet économique, climatique, sociologique et humain, qualifier d’une collaboration positive au cœur de l’Afrique.
Selon les circonstances et souvent par des complexités intérieures, il faut nécessairement des ententes positives, suivies, constructives, consensuelles et contrôlées afin d’optimiser les relations entre pays voisins des Grands Lacs.
Les groupes armés internes ou quelquefois téléguidés de l’extérieur, n’auront plus ou ne pourront plus avoir la possibilité de proliférer, de semer une terrible terreur, ni d’organiser des exploitations illicites du sous-sol.
Et les cadres nationaux affectés dans les diverses institutions sensées à juste titre constitutionnellement protéger et organiser la population, ne devront plus pouvoir se permettre de laisser rançonner, voire d’abuser des populations civiles.
La communauté internationale, spécialement les relations Europe/Afrique où se cadrent également les relations Belgique/RDC, restent subsidiaires évidemment au rôle d’une nation souveraine.
Durant les 61 ans d’indépendance de la RDC – avant du Congo et du Zaïre – d’innombrables initiatives politiques, économiques, militaires, sociales, éducationnelles ont été prises au fil des décennies avec le concours de la « communauté internationale », en accord avec les autorités congolaises : certaines sont encore en place, je pense à la CIRGL, MONUSCO, UA, SADC.
Et à tout cela s’ajoutent évidemment les efforts considérables des partenaires multilatéraux et bilatéraux, spécialement dans les domaines humanitaires au sens large, ainsi que dans la réinsertion d’anciens « guerriers », dans un système de paix. Parfois une législation électorale particulière, favorisant la reconversion politique y contribua. Grâce à des programmes de développement régionaux ,il y eut souvent un potentiel de croissance partagée.
Cela parait beaucoup mais c’est encore peu pour aider le véritable développement durable, à un rythme démocratique, en souveraineté, harmonieusement partagé entre partenaires.
AE : La RDC assume la Présidence de l’Union Africaine en 2021, que devrait être la priorité du Président Felix Tshisekedi?
La présidence de l’Union Africaine en 2021 : c’est une reconnaissance qui dépasse évidement le rôle de la RDC.
Elle est en ces temps également portée par le nom du président TSHISEKEDI dans des circonstances de politique intérieure en changement. Nous espérons une marche vers un état de droit solide, une justice fiable, une non-corruption évidente et affirmée, une collaboration grandissante entre pays, avec des partenaires honnêtes, corrects, contrôlés par leur démocratie réciproque. C’est un défi majeur.
Le développement de la Zone de Libre Echange Africaine, les idées de partenariat à des niveaux opérationnels et plus faciles à mener que le macro-aspect des énormes développements miniers, parfois agricoles, ou d’hydro énergie, peuvent retrouver sous cette nouvelle présidence congolaise, le démarrage d’une série de priorités.
Les efforts de l’UA pour la résolution des conflits dans le cadre de l’organe de paix et de sécurité, me paraissent majeurs. Espérons que, dans la collaboration des nations africaines, la RDC, qui a tant souffert dans les décennies précédentes, puisse enfin voir se partager correctement la prospérité qu’elle est capable de générer, souvent en partenariat.
AE : Quel jugement feriez-vous sur les différents régimes qui se sont succède au pouvoir à Kinshasa. Pourquoi n’ont-ils pas été à la hauteur des défis de développement auxquels la RDC était confrontée.
Ma première visite à Kinshasa, alors encore Léopoldville, date de 1964. Mais en 1964 Kinshasa, Léopoldville, comptait moins de 500.000 habitants. Aujourd’hui dans le tout grand Kinshasa, ce chiffre s’est multiplié peut-être par 30 ! Une situation certaine de prolétarisation, même de détribalisation, ou de dé-ethnicité, détermine la vie pour la majeure partie des habitants des grandes villes. Cela se retrouve par exemple dans d’autres villes comme Kisangani, Mbuji-Mayi, Goma, Lubumbashi et j’en passe tant d’autres.
« L’augmentation » du nombre de provinces qui, dans un pays dont certains chercheurs essayent de redéfinir en 80 à 85 grandes familles ethniques, a modifié la donne. Si cette « provincialisation » est correctement conduite, elle peut organiser et aider l’évolution, dans la souveraineté, de l’immense Congo RDC. Elle annonce des perspectives mais alimente également des craintes d’avenir. J’ai à peu près connu tous les régimes que le peuple congolais, dans le sens quelque fois abusif du terme, a connu ou a dû subir depuis l’indépendance.
Le peuple congolais a souvent jugé ses régimes, parfois rapidement et résolument, parfois fort lentement, et cela au prix d’énormes sacrifices. Il est un fait que depuis 1960 le Congo a connu des périodes de croissances et de progrès, mais hélas, ces périodes n’ont pas été durables et ont été souvent suivies de périodes longues de déclin de la gouvernance, de faillites d’institutions, de phénomènes de corruption s’amplifiant et se généralisant, de désordres graves dont le peuple a fait les frais en termes de pouvoir d’achat, de perspectives de prospérité, d’éducation et surtout de sécurité d’existence et de survie.
De nombreux pays partenaires, spécialement la Belgique, directement et indirectement, ont consacré des sommes considérables au Congo pour son développement, l’énorme annulation des dettes en fut une. L’ensemble ne résulta pas dans une véritable dynamique de prospérité.
Ce serait un exercice utile pour tous, surtout congolais évidemment, dans sa souveraineté modernisée, d’identifier davantage des réformes courageuses qui permettraient de rendre durables les réalisations de la coopération au développement, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales.
La plupart des analystes s’accordent d’ailleurs à affirmer qu’un développement réel n’a jamais pu être obtenu par les seuls appuis externes. Ces appuis extérieurs constituent des relais et des occasions à saisir mais la vraie durabilité des réformes ne vient ou ne survit que lorsqu’ un appui externe se résume à solidifier un préalable effort interne considérable, bien mené, soutenu et opérant dans un environnement de bonne gouvernance, de transparence et d’institutions efficaces.
La crédibilité de l’intérieur de la RDC surtout mais aussi de l’extérieur et de ses amis et alliés, est le reflet de la confiance que l’on peut avoir dans des institutions fortes, démocratiquement contrôlées, et dans une justice efficace et correcte. Ceci au véritable sens du mot, avec l’appui d’une administration possédant les moyens nécessaires et un appareil de sécurité démocratique, valable et contrôlé. Ceci aussi bien pour la protection de l’intégrité du territoire que pour la protection des citoyens congolais.
AE : Quelle chance de réussite accordez-vous au pouvoir de Felix Tshisekedi?
Je connais assez bien Félix TSHISEKEDI et ceci depuis très longtemps et j’ai eu également l’occasion de bien connaitre son père Etienne. Par le hasard de mes fonctions ministérielles et politiques, j’ai pu côtoyer beaucoup de Congolais. J’ai connu beaucoup de responsables congolais, que je pourrais citer et que j’ai pu aider ou conseiller de temps en temps, par les contacts renouvelés que j’avais à travers le monde. Ceci en ce qui me concerne, dans une indépendance totale.
Peut-être que ce dernier critère explique une certaine influence de conseil, de confiance et de confidentialité que j’ai pu, au long de ces 55 ans, partager avec un large éventail de citoyens et de citoyennes congolais, d’institutions intérieures et extérieures à ce sous-continent.
Félix TSHISEKEDI entama son mandat dans des conditions particulièrement difficiles et dans des situations dont on ne pouvait pas prévoir l’évolution ni l’issue. D’abord dans une surprenante coalition, limitant fortement sa marge de manœuvre, puis des évolutions heureuses constatées ces derniers temps ouvrant de nouvelles perspectives positives.
J’ignore s’il n’est pas trop tôt pour pouvoir juger du succès concret et continué que le remodelage de la majorité au sein de l’Union Sacrée lui permettra d’obtenir à la faveur de réformes sérieuses, durables, importantes et à un impact positif si attendu pour la population. Au sortir de près de 20 ans des pouvoirs précédents, on ne peut que lui souhaiter et ainsi qu’à ses alliés démocratiques de réussir, et de l’aider là où c’est possible et bienvenu.
Les grandes structures volontaristes au Congo dont j’apprécie souvent l’approche, quelques fois critiques et objectives, traduisent plus d’une fois le profond désir d’échapper finalement à l’injustice et à l’extrême pauvreté en fait et en droit de créer un avenir pour cette incroyable riche et nombreuse génération de jeunes en RDC.
COOPÉRATION MILITAIRE
AE : La RDC est confrontée aux défis sécuritaires majeurs à l’Est de son territoire, notamment le terrorisme des ADF. Pourquoi la Belgique qui est en coopération militaire avec ce pays, peut-elle soutenir un embargo d’achat des armes lui impose au moment la RDC en a besoin pour les combattre et sécuriser ses frontières?
L’embargo sur les armes, instauré au niveau international n’est pas le fait de la seule Belgique.
Cet embargo a une origine historique, au moment où la RDC était en proie des problèmes de belligérance intérieure jusqu’aux accords de Sun City, il y a presque vingt ans déjà.
Dans les faits, la RDC s’est procurée les armes dont elle avait besoin pour faire face à ses défis à l’Est. De plus, elle a été aidée dans ses tâches de stabilisation par la présence importante de casques bleus dans le cadre de la MONUC puis de la MONUSCO.
Si on devait se permettre une analyse froide et rationnelle de la situation d’insécurité de l’Est, et ce ne peut être qu’un point de vue d’analyse et des types d’ennemis que la RDC doit y combattre pour restaurer et la paix, on pourrait démontrer que ce dont la RDC a le plus besoin, ce n’est pas à mes yeux en tous les cas – d’une plus grande quantité ou de types différents d’armements. Je verrais plutôt la nécessité d’une restructuration, d’une professionnalisation et d’une discipline rigoureuse en termes de commandement et d’équipement de base dans l’entraînement. Tout cela dans une réalité civique, démocratique et constitutionnelle.
AE : Cet embargo ne constitue-t-il pas la manifestation du complot dont est victime la RDC, que vous même aviez fait allusion dans votre livre autobiographique?
Je ne crois pas que l’embargo sécuritaire et la livraison d’armes seraient la manifestation d’un complot dont serait victime la RDC. Même dans les moments graves d’une pandémie universelle, telle que la Covid-19, les partisans de thèses de complots, irrationnels et éminemment hasardeux, se font de plus en plus nombreux, hélas…
Évidemment, il y a des grandes nations dans le monde en compétition avec d’autres grandes nations. J’ai bien connu des aspects de la guerre froide en Afrique, où les bases de Kitona et de Kamina avaient des fonctions je crois quelques peu parallèles dans une sorte de division en deux camps de notre monde des années 60, voire 70 ; communistes ou non-communistes pour résumer à l’extrême.
AE : Ne pensez-vous pas le moment est venu pour la Belgique de transférer sa technologie dans le domaine des mentaux à la RDC ?
Le fait que vous me posez la question du transfert de technologie potentielle de la Belgique dans les domaines des métaux, de l’agriculture, etc. prouve que les Congolais à juste titre reconnaissent l’impact déterminant de la Belgique dans des grands domaines, tels que l’agriculture tropicale ou para tropicale, l’hydro-électricité, la médecine dont notamment la vaccination et la lutte contre les épidémies. L’organisation de la logistique reste majeure car la Belgique, avec une population plus petite que celle de Kinshasa, tire pour 80% (plus de 600 milliards de dollars USA par an) de son bien-être de sa technologie et de ses activités d’avant-garde, comme de sa logistique. Nous sommes par exemple un inventeur et producteur majeur, au sens large, dans le monde des vaccins et notre rôle dans le combat contre certains fléaux comme l’Ebola, la maladie du sommeil, n’en sont que des illustrations.
La présence de la Belgique et des belges dans une grande série d’entreprises mondiales, de nature privée est remarquable. C’est la « grand place d’Europe » qu’est et reste la Belgique ! Avec les institutions très nombreuses de l’Union Européenne à l’OTAN, de centaines d’organisations de coopération intra et extra européennes, sa disponibilité de cadres nombreux bien formés, polyvalents, multilingues et son impact sur les formations scientifiques et digitales, pour ne citer que celles-là, sont très nombreuses. Ils peuvent et doivent évidemment servir dans le grand transfert de connaissances par des partenariats positifs, par des stages nombreux, par des centres de développement à tous les leviers de transfert de connaissances et de leur application.
L’impact par exemple de la puissance hydro-électrique de la RDC, de ses dizaines de millions d’hectares de terre, capables de s’ajouter à celles déjà productrices dans tant de domaines, de ses ressources forestières l’impact de la deuxième forêt mondiale du monde sur l’Europe et son climat est très significatif majeur, de ses richesses minières, ainsi que l’influence de sa démographie grandissante restent des atouts souvent uniques. Ce tout crée pour ce qu’on appelle une Europe plus expérimentée, bien organisée, avec des budgets publics et privés, des chances nouvelles de coopération partagée.
AE : Après la brouille diplomatique avec le régime Kabila en 2016, la Belgique a décidé unilatéralement de rompre la coopération militaire avec la RDC. La Belgique a décidé de reprendre celle-ci sous Felix Tshisekedi. Qu’est-ce qui a changé? Et quelle est la particularité de cette nouvelle phase de coopération militaire?
La question qui réfère à la brouille diplomatique avec les régimes KABILA en 2016 se base sur une supposition erronée.
En vérité, il me semble que c’est le président KABILA qui a décidé unilatéralement de rompre la coopération militaire. La Belgique en a pris acte et s’est conformée à cette décision, en prenant la disposition pour rapatrier les formateurs militaires et les équipements dans les délais convenus.
Un détail qui a son importance, dans un régime belge ouvert et parlementaire : la rupture a même permis d’économiser quelques millions d’euros à notre budget de la défense.
Cela ne semble pas avoir eu d’impact pour nos militaires mais peut par contre pénaliser des militaires congolais en cours de formation, ou des installations comme celle de Kananga en cours de modernisation et les échanges sur places.
Dans le sillage de cette rupture, la Belgique ne s’est pas conduite en égoïste mais a initié et développé des relations militaires les pays voisins.
A l’avènement du président TSHISEKEDI, celui-ci a indiqué qu’il souhaitait rétablir la coopération militaire. En Belgique aussi, on a mis beaucoup de temps à mettre en place un nouveau gouvernement, de plein exercice jusqu’en 2025, chargé d’une des missions les plus délicates depuis l’après-guerre mondiale de 1945 : la pandémie Corona et le repartage et ses conséquences économiques et sociales au sens large.
Vous connaissez la composition de ce nouveau gouvernement. Le Premier Ministre est mon fils Alexander DE CROO, également mon voisin le plus proche.
En ce qui concerne le nouveau vent qui pourrait faire lever et prospérer la coopération militaire, il n’y a pas si longtemps qu’une frégate belge a mouillé au port de Matadi en signe d’amitié.
Je crois que les discussions approfondies et « partenariennes » doivent encore avoir lieu quant à des nouveaux projets.
ECONOMIE
AE : Les investissements Belges en RDC sont de moins en moins importants. Qu’est-ce que les Belges reprochent-ils au climat des Affaires de la RDC?
Il est vrai que surtout les investissements dits classiques belges ou animés par la Belgique en RDC, sont moins importants. Ce n’est pas seulement le cas des investissements belges ; d’autres pays occidentaux connaissent la même tendance.
Dans une conférence que je faisais il y a une vingtaine d’années à l’université d’Harare, j’avais analysé l’impact de la chute du mur de Berlin – 1989 – sur la collaboration, surtout privée, d’Europe vers l’Afrique. En effet, par l’élargissement géographique de l’Union Européenne, l’arrivée des pays comme la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie etc. a réorienté beaucoup des jeunes cadres. Au début de leur carrière, avec une famille toute neuve, ils se sont dirigés vers des régions plus proches, avec des sécurités juridiques et économiques, selon eux davantage appréciés, donc vers l’Est de la nouvelle Europe plutôt qu’au beau Sud du grand binôme Belgique – Congo.
La sécurité globale et la fiabilité de l’appareil de la justice jouent également. Mais le qu’en dira-t-on reste toujours majeur dans des relations commerciales et en matière d’investissements et de présences. Bref, il faut un régime de confiance dans des institutions bien organisées.
Mais le choix des investisseurs belges ou autres reste guidé également par des critères de sécurité juridique et physique, par le « climat des affaires », pas nécessairement des rendements importants ou des bénéfices exorbitants, souvent loin de là, mais également dans les conditions de vie. La compétitivité de production, des circulations entre banques, de la disponibilité de main d’œuvre qualifiée et compétente, de la facilité de la logistique, de la proximité des lieux de consommation et de vente ou de livraison, etc. forment quelques-uns des atouts à favoriser.
Par exemple, la Belgique est une économie tellement développée et ouverte, même dans ses avancées scientifiques les plus raffinées. Ses ports, ses aéroports, sa logistique extraordinaire, font que « un jour de transport par route » permet d’alimenter une clientèle potentielle de plus de 60 millions de consommateurs !
Comme vous le devinez, ceux-ci disposent d’un pouvoir d’achat important, dû à leur richesse collective et leur bien-être personnel ou familial. Une grande ambition bilatérale ou multilatérale, entre Congo et Europe, est de relever que ces divers critères qui ont connu une dégradation presque constante au fil des dernières décennies, se redressent. L’épisode de la zaïrianisation – je m’en suis beaucoup préoccupé sans succès je crois – a marqué un grand coup, les pillages de septembre 1991 et de janvier 1993 ont provoqué au moins un deuxième choc. Les troubles pendant, entre autres les rébellions de 1997 jusqu’aux accords de Sun City, puis les pressions intéressées ou les interférences exercées par le pouvoir politique sur les investisseurs n’ont pas, pour employer un mot diplomatique, contribué à rétablir une confiance indispensable à replacer la RDC en tête des destinations de nos investisseurs.
Heureusement, de mes contacts nombreux, je sens une réorientation. Il y a une ère nouvelle qui semble se lever, mais elle ne peut pas ne pas réussir, car la déception d’un espoir nouveau serait plus grave encore que la situation précédente.
Il ne fait aucun doute que les entreprises belges, grandes et petites, gardent un réel intérêt pour reprendre le chemin des investissements en RDC, en utilisant spécialement, avec des partenaires congolais, les Zones Franches et les opportunités nées de la digitalisation qui sera un facteur majeur de développement en RDC.
Il y a une très longue liste d’entreprises belges ayant répondu présents et prêts lors de première visite officielle du président TSHISEKEDI en Belgique en septembre 2019. Il faut poursuivre cette nouvelle voie au Congo comme en Belgique.
AE : Au sujet du fameux contentieux Belgo-congolais, autour de quels dossiers Pensez-vous que les experts de deux pays puissent traiter en priorité?
Le contentieux Belgo-Congolais a été réglé définitivement, j’espère, avant la fin de la période de MOBUTU, au terme de négociations difficiles et de facilitation par l’entremise du Roi Hassan II du Maroc. Je suis étonné de lire qu’il y aurait à nouveau des velléités ou des raisons de rouvrir ce dossier.
La frêle stabilité qui est en voie de s’affermir doit être choyée pour rétablir une confiance durable, efficace et profitable pour les populations congolaises.
AE : Parle passe, en tout cas pendant la colonisation voire au moment de son accession à l’indépendance, la RDC a basé son Economie plus sur l’agriculture et moins sur les mines. Dans son premier discours à la nation, le président Felix Tshisekedi à décide que le sol de la RDC devra désormais prendre s’atteint sur le sous-sol. La Belgique a-telle encore les moyens et la volonté d’aider la RDC à relever ce défi?
Il est vrai que la période coloniale avec des institutions « coloniales » structurées, comme les centres de recherches agricoles, sanitaires, éducationnels, scientifiques, infrastructurels avaient notamment axé le progrès du pays sur un développement intégral.
On a stimulé tous les secteurs pour atteindre des performances optimales, créer des emplois sur place, assurer la sécurité alimentaire, diversifier les productions, améliorer les espèces végétales et la qualité des sols, ainsi que de favoriser l’exportation de surplus pour dégager des moyens financiers nécessaires à la réalisation d’une infrastructure de premier ordre à travers tout le pays.
Une tâche incommensurable dans sa complexité.
Aujourd’hui il faut l’avouer, la désaffection qu’a connu le secteur agricole crée une situation paradoxale, où le premier producteur, exportateur de matières végétales, le Congo malheureusement se trouve lanterne rouge.
L’explosion démographique à mes yeux n’y est pas étrangère. Aujourd’hui la quasi-famine touche plus de 13 millions de Congolais, ce qui est énorme et inacceptable.
Il est donc tout à fait louable et urgent de mettre de moyens en œuvre pour une relance effective du secteur agricole.
Cela suppose que les conditions favorables y soient mises en place : la loi agricole semble avoir constitué un certain frein et elle pourrait être adaptée pour procurer une sécurité juridique aux investisseurs ou au partenariat, avec par exemple, bien encadrées, des majorités étrangères.
Les infrastructures des dessertes agricoles, une des politiques de la coopération sous le Vice Premier Ministre d’alors Alexander DE CROO, l’actuel premier ministre, alors notamment en charge de la coopération, devrait être à nouveau entretenues.
La coopération sous Alexander DE CROO – dont on se souvient de son intervention publique remarquée en janvier 2015 à l’ambassade de la Belgique – avait choisi notamment de réhabiliter des routes de desserte agricole ! Cet effort a dû être arrêté en 2018 du fait de la non-réalisation de beaucoup d’engagements congolais pour pérenniser la remise en état. C’est un défi à relever.
Les Zones Franches « africaines » pourraient servir de projets pilotes dans mon approche d’encourager les partenariats, même au niveau des P.M.E. L’expertise universitaire belge en matière d’agriculture tropicale reste mondialement reconnue. La Belgique avait proposé un projet intégré de réhabilitation du centre expérimental de Yangambi (qui fut le premier centre mondial d’expertise agricole tropicale, il y a quelque temps) en conjonction avec un vaste schéma de plantation de palmiers à huile et de formation de base et de cadre. Des investisseurs belges se sont réengagés dans ce type de plantations de palmiers à l’huile mais ils sont confrontés, semble-t-il, à des problèmes notamment de propriété, avec les habitants environnants. Le problème des titres de propriété reste souvent capital dans beaucoup de débats au Congo.
De très nombreuses ONG restent actives dans le secteur agricole et par exemple la forte demande de cacao offre également des perspectives accrues d’investissements.
L’Europe et la RDC.
Lorsqu’on se place dans une très large approche géopolitique, et mondiale, on se rend compte que l’Union Européenne, après deux dramatiques et terribles guerres de division au siècle dernier (1914-1919 et 1939-1945) a réussi à enterrer ses divergences profondes. Démocratiquement, elle a créé l’Union Commerciale la plus importante du monde, dépassant 450 millions de consommateurs prospères et des millions de producteurs innovateurs.
Elle est quasi prédominante dans sa contribution à l’amélioration des conditions de vie et de travail. Dans le monde, elle est primordiale pour ses partenaires, spécialement en Afrique.
Pour des raisons géographiques, économiques, historiques, culturelles etc., l’Afrique est, à côté de l’Amérique latine, de l’Amérique du Nord, de l’Asie le continent le mieux placé pour que l’Europe puisse positivement y jouer un rôle capitalen vue du progrès et du bien-être des populations.
Cela suppose que les règles du jeu soient égales et qu’il n’y ait pas de « pré carré protégé » avec des facilités qui en fait falsifient l’accès d’autres acteurs, parfois tout aussi dynamiques et prêts également à prendre des risques.
Il faudra s’assurer que des « raccourcis » – et nous savons ce que cela veut dire – ne soient pas mis en place entre certains groupes ou individus et certains pouvoirs politiques, ou para politiques.
A en croire des publications qui semblent bien documentées, ce type de raccourcis serait à la base d’une situation de marché faussé, dont notamment le trésor congolais et les candidats entrepreneurs congolais et étrangers, spécialement en partenariat, non-initiés, pourraient être les victimes.
Je reconnais que les opérateurs chinois par exemple sont dynamiques, compétents mais qu’ils sont formidablement aidés par leur régime à tout point de vue et ont des possibilités de pression et d’intervention sur base de leur force économique, et même militaire, pour avancer, clairement dit, leurs pions et leurs intérêts, selon des règles et des pratiques différentes des nôtres. Nous l’expérimentons directement sur notre propre marché en Europe.
Au lendemain des pillages divers que le Congo a connu, alors que des acteurs économiques européens se retiraient ruinés, d’autres qui avaient pourtant eux aussi subi des destructions considérables, ont continué semble-t-il, à prendre le risque d’acquérir des moyens de productions, de vente et de distribution, j’espère en collaboration et si c’est possible en partenariat local congolais.
Ici l’essentiel reste que les règles du jeu soient égales pour tous les opérateurs et que les innovateurs, les dynamiques, disposent des mêmes opportunités. Il en va de même pour d’autres communautés convaincues de l’esprit du partenariat.
SOCIO-CULTURELLES
AE : Que Pensez-vous de l’avenir des relations Belgo-congolaises dans tous les secteurs?
Depuis des décennies, la diaspora et les visiteurs congolais et les visiteurs belges au Congo en sont les premiers témoins, les relations Belgo- Congolaises occupent une place unique dans la vie politique belge. Bref, dans la vie de tous les jours. Il n’y a pour ainsi dire pas de journaux, d’organes d’information audiovisuels ou d’hebdomadaires qui ne citent régulièrement des éléments de la politique, de l’économie et de la santé, du développement, des difficultés congolaises, etc.
Jusque dans le dernier de nos villages, au nord, au sud ou au centre du pays, il subsiste des liens personnels ou des liens dérivés entre nos deux pays et nombre de ses citoyens.
Ce qui se passe au Congo, est suivi partout chez nous et nos commissions parlementaires récentes le prouvent, ainsi que l’extraordinaire commission d’enquête sur l’assassinat du premier ministre LUMUMBA au parlement, que je présidais à ce moment-là. Nos opinions publiques tiennent compte du Congo, y réfléchissent et se sentent en général, devant les difficultés et les abus que firent subir plusieurs régimes congolais à leurs populations, aux côtés de ces populations.
Les Belges souhaitent que le Congo parvienne à se hisser au niveau qui devrait être le sien, tenu compte des critères possibles. Cela frustre un peu les Belges, cela affecte parfois même l’image du Congo auprès du citoyen.
Mais à mes yeux, le capital de sympathie reste entier et lorsque le Congo passe par des moments difficiles, la Belgique vibre à l’unisson avec le peuple souffrant.
C’est ainsi qu’au début 2018, lors d’une session à huis clos du parlement belge, la politique du gouvernement belge visant à se solidariser avec le peuple congolais face aux velléités du président KABILA de fausser le jeu électoral pour se maintenir au pouvoir au-delà de ses deux mandats, a été appuyée par l’ensemble de la commission des affaires étrangères, tous partis confondus, à l’exception d’un petit parti d’extrême gauche.
La mise sur pieds récente d’une commission parlementaire – je rappelle toujours celle du début des années 2000 qui a étudié en commission d’enquête jusqu’au dernier détail l’assassinat du premier ministre LUMUMBA-, cette fois-ci pour étudier le passé colonial de la Belgique, est un autre signal de l’intérêt vivace des générations montantes, généralement des hommes et des femmes jeunes en politique et ce à propos de nos liens historiques complexes et de très longue durée avec le Congo.
Sans préjuger des conclusions de cette commission, je constate que les différents protagonistes s’accordent ; espérons qu’il en sortira une volonté réitérée de maintenir et de développer une relation d’amitié et de coopération. Les messages et les prises de position du président TSHISEKEDI se font d’ailleurs l’écho congolais des sentiments réciproques.
AE : De moins en moins les étudiants ont accès aux universités Belges. Pourquoi la Belgique n’accorde plus des facilites aux enfants congolais pour leur formation?
Dans la Belgique d’aujourd’hui les questions d’éducation et de formation relèvent de nos différentes communautés comme c’est le cas en Allemagne fédérale, où il y a 17 ministres de l’enseignement, comme en Espagne, en Suisse et dans tant d’autres pays fédéraux de l’Europe d’aujourd’hui. C’est à nos communautés de langue française, néerlandaise et allemande, d’y prendre des initiatives et des décisions. Il y a beaucoup de contacts entre nos universités respectives, le choix semble se porter en général sur des facilités pour les formations postdoctorales. C’est en soi un signal de reconnaissance d’excellence des diplômes universitaires congolais. Il ne faut pas l’oublier.
Former en Belgique des enfants congolais ne semble pas à l’ordre du jour car la logistique, l’infrastructure, le nombre -je crois que le Congo a besoin d’à peu près 6 millions d’enseignants nouveaux dans le primaire- ne permettrait pas de contribuer de manière efficace en moyens et en cadres à une meilleure formation primaire et secondaire.
Ces formations me semblent – mon premier ministère était l’éducation au début des années 1970- parfaitement maitrisées à travers le monde. C’est surtout une question de mise en application effective de conditions matérielles et surtout d’enseignants dans chaque pays.
AE : Alors que la France fait une discrimination positive pour permettre aux sportifs en provenance de ses anciennes colonies, la Belgique choisit de durcir les conditions de séjour et de travail aux athlètes congolais, n’est-ce pas de l’inimitié face au peuple d’un pays ami de longue date?
Je ne crois pas qu’au point de vue « sport » votre perception soit la bonne. Nos équipes sportives, spécialement football mais ailleurs également, comptent fort avantageusement de nombreux athlètes congolais, dont beaucoup d’entre eux sont parvenus à se hisser et à hisser leur club belge dans les catégories tout à fait de pointe.
Notre situation en Belgique est comparable presque sur tous les points, avec la pratique en vigueur notamment en France et ne me parait pas devoir changer vu les excellents résultats que nous connaissons.
AE : Concernant le dossier Tervuren en rapport avec les statuts de nos ancêtres, leurs familles peuvent-ils espérer toucher les droits d’auteurs?
L’Africa Museum :
C’est comme cela que s’appelle le musée de Tervuren, centre de recherches surtout et de publications, avec dans ses agents de cadre des présences scientifiques congolaises importantes.
Il a connu avec des investissements majeurs, un solide renouveau à tous égards, en infrastructure matérielle mais également humaine et de recherches. De très nombreuses questions à présent y sont repensées. S’il s’agit de pièces d’art, ou de collaboration plus structurelle, avec le nouveau musée d’art de Kinshasa que j’ai pu visiter, ainsi que l’état de la réserve des pièces d’art dans le sens le plus large du terme à Kinshasa, je crois que le dialogue reste ouvert.
Il y a également une participation plus systématique avec la diaspora d’origine congolaise.
L’Africa muséum est en train d’éditer, -il a dépassé plus de la moitié des ouvrages déjà-, des études exceptionnellement remarquables sur chaque province congolaise. La coopération au développement cofinance ces recherches scientifiques où sont associés évidemment des chercheurs congolais.
Ce sera une documentation unique pour la RDC et pour tous les pays du monde, y compris la Belgique. Enfin, laissez-moi partager un de mes très nombreux souvenirs comme conclusion à nos longs entretiens : « à bord d’un avion militaire C 130, atterrissant à Inga, j’ai pu me faire un aperçu de la puissance du deuxième plus grand fleuve du monde, le Congo. A la hauteur de Banana, le fleuve pénètre l’océan durant des dizaines de kilomètres. Sa marque de la large trainée brunâtre des eaux douces du fleuve Congo, dans certaines de ses profondeurs plus de 220 mètres, avec une puissance exceptionnelle, variant de 40.000 m³ secondes à parfois le double, est unique. Drainant en raccourci le très lointain Katanga, en fer à cheval sur l’Equateur, presque tout le continent central d’Afrique. Le fleuve Congo avec ses potentialités humaines, hydro polyvalentes surtout mais également de sols, de sous-sols, de pluie, de forêt tropicale, d’impact climatique reste un facteur majeur, à tous points de vue.
Un jour, le Congo avec ses richesses distribuées de manière équitable restera un continent dans un continent, une nation capitale vraisemblablement parmi les plus peuplées d’Afrique d’ici quelques temps, où par le hasard de l’histoire, avec des hauts et des bas, même des fautes réciproques, quelques fois lourdement du côté de la partie dite occidentale, nous avons maintenu au long des nombreuses générations dans le dernier siècle et demi ou presque, un désir de connaissance, de respect, de partenariat et de collaboration. Développons-les encore d’avantage.
Propos recueillies par Nkalulu Lokombe